Architecture remarquable — Auteur : — Description de l'édifice
Cette opération est destinée à accueillir les services de la Caisse centrale de Réassurance. La Caisse ayant peu de rapport direct avec le public, l’édifice est programmé pour recevoir un nombre limité d’occupants et de visiteurs ; essentiellement les 150 à 200 personnes qui constituent le personnel administratif et la direction. Le programme est assez complet puisque l’immeuble comprend, outre les bureaux, un grand restaurant à double orientation pour le personnel, une cuisine, une salle à manger et un appartement pour la direction (dernier niveau), un vestiaire, une conciergerie, une salle d’archives, une infirmerie, une chaufferie et un parking pour 5 à 6 voitures. La salle à manger, plus petite que le restaurant, se situe dans les parties supérieures (avec monte-charge), tandis que le restaurant prend place au rez-de-chaussée. Un accès est aménagé en sous-sol afin que les voitures atteignent le parking souterrain situé à l’intérieur de l’îlot. Une cour minérale est aménagée au-dessus. Autre impératif du programme, la distribution des services devait être assez souple en raison de l’évolution constante de la Caisse. Le projet respecte une tripartition définie dès l’origine de l’opération : une réception avec hall d’entrée et escalier monumental, les bureaux du personnel, adaptables et, enfin, les locaux de distribution fixes comme le restaurant, l’infirmerie ou la salle d’archives. Toutes ces fonctions devaient pouvoir s’intégrer dans une structure tramée (1,20 mètre de module). La parcelle choisie se trouve au 37-41 rue de la Victoire, dans un quartier du IXe arrondissement déjà riche en sièges de compagnies d’assurance, face à la célèbre synagogue de la Victoire. Le site forme un rectangle très étroit de 13 mètres sur 60 mètres, soit 780 m² au sol, avec un pan coupé au croisement des deux rues (rue de la Victoire et rue Saint-Georges) bordant la parcelle. Compte-tenu de la réglementation en vigueur lors du chantier de construction, il n’était possible de créer des bureaux que le long de la rue de la Victoire, exposée plein nord. Le parti architectural répond le plus fidèlement possible aux contraintes de la parcelle et au cahier des charges : étroitesse de la parcelle à pan coupé, modularité intérieure, circulation fluide entre les fonctions et présence d’un parking. L’édifice réalisé présente finalement un plan en L en R+7 associé à un huitième étage partiel. Ce retrait du dernier niveau respecte ainsi la réglementation parisienne concernant ce type de gabarit. Le rez-de-chaussée intègre en fait deux niveaux grâce à un entresolement par mezzanine intermédiaire. On accède au bâtiment par trois accès, ce qui permet de différencier la réception du public de celle du personnel. L’escalier monumental qui prend place dans la courbure du volume principal est travaillé de façon autonome. Partant d’un cercle qui dessine la base, le jour de l’escalier prend la forme d’une ellipse tandis que l’about des marches trace une parabole. Jean Balladur conçoit également l’ensemble du mobilier. L’édifice dispose de deux façades : une sur les rues et une sur cour. Derrière la façade sur rue, les étages courants présentent de grands plans libres avec des cloisonnements modulés de 1,75 mètre de côté. Les bureaux sont accessibles depuis le grand hall par l’escalier principal et des ascenseurs. L’ossature de l’édifice est mixte : béton pour le sous-sol et métal pour l’élévation. On retrouve dans la construction du sous-sol une ossature et des planchers en béton armé, des murs de soutènement en meulière, des cloisons en brique et un escalier en béton. L’ossature en acier en superstructure est soudée. Ses éléments transversaux mesurent 9 mètres, et sont répétés tous les 1,75 mètre. Les poteaux, laissés apparents en façade, sont formés de deux profilés HN de 160 centimètres soudés aile contre aile. Les éléments de remplissage du mur-rideau ont été encastrés au nu extérieur des poteaux. Ils sont constitués d’une ossature en profilé d’aluminium avec allège en verre émaillé vert-bleu et trempé, et un châssis vitré basculant. L’élément le plus remarquable est le long mur-rideau de la façade sur rue. Les architectes atténuent la présence du pan coupé à l’angle des deux rues en prolongeant ce mur-rideau par une partie courbe, dans la continuité de la partie principale. Les pièces vitrées et la trame en acier, laissées apparentes, se plient à la forme de la courbe sans rupture. La légèreté du mur-rideau est renforcée par la présence des pilotis de la structure métallique en façade, visibles surtout au rez-de-chaussée. A ce niveau, du vitrage, situé en renfoncement, éclaire l’entrée et les autres espaces intérieurs, tandis qu’un mur plein d’esthétique brutaliste remplit la partie courbe de l’élévation, renforçant ainsi l’assise du pan coupé de la façade. L’encorbellement vitré qui court sur la façade s’interrompt avant les mitoyennetés sur les deux rues, rappelant le véritable plan de la façade, et marquant le retrait imposé de l’alignement. L’immeuble se raccroche ainsi mieux à ses voisins, en traitant la travée de l’entrée secondaire avec davantage de plein sur la rue de la Victoire, et en marquant davantage le tracé du pan courbe sur la rue Saint-Georges. Cette composition puise ses références dans l’architecture dite « paquebot » des années 1920-1930 (terrasses supérieures en retiré avec garde-corps métalliques travaillés) et dans la production expressionniste d’Erich Mendelsohn (1887-1953). Un certain mimétisme est même repérable entre cet immeuble et les magasins Petersdorff de Breslau (1927). Certains dessins, signés par Jean Balladur (conservés au MNAM-CCI), attestent également de l’influence des tracés régulateurs du mouvement De Stijl sur le dessin de la façade.
— Histoire
L’histoire de la commande est mal documentée. En l’état actuel des sources, nous ne pouvons que détailler l’enchaînement du processus administratif de la réalisation. Au moment du lancement du projet, la Caisse centrale de Réassurance (CCR) est installée 24, rue de Mogador dans le IXe arrondissement de Paris. Il s’agit d’un établissement public créé par la loi du 25 avril 1945. Le permis de construire du nouveau siège social est déposé le 6 mai 1955 auprès de la direction de l’Urbanisme de la préfecture de la Seine. La parcelle est alors occupée par un édicule à usage de garage, bientôt démoli. Un peu moins de deux ans plus tard, le 19 février 1957, le permis est accordé. Le projet ne semble pas avoir soulevé d’écueil particulier, excepté le montant élevé des droits relatifs à la palissade édifiée pour clore le chantier. Ce problème va donner lieu à plusieurs échanges épistolaires entre la Caisse et la préfecture de la Seine. Le chantier est achevé le 30 août 1958. Entre 1982 et 1983, Jean Balladur intervient à nouveau sur le site pour réaménager le restaurant et créer un nouveau système de chauffage. Dix ans plus tard, la façade sur cour est modifiée suite à l’élargissement de l’espace libre en cœur d’îlot.